|
La découverte suprême
Si nous voulons progresser intégralement, il nous faut ériger en
notre être conscient une synthèse mentale forte et pure qui puisse nous servir
de protection contre les tentations du dehors, de point de repère pour nous
éviter tout détour, de phare pour éclairer notre route sur l'océan mouvant de la
vie.
Chacun doit construire cette synthèse mentale suivant ses
propres tendances, ses propres affinités, ses propres aspirations. Mais si nous
la voulons vraiment vivante et lumineuse, il faudra qu'elle ait à son centre
l'idée qui est la représentation intellectuelle symbolique de Ce qui est au
centre de notre être, de Ce qui est notre vie et notre lumière.
Cette idée exprimée en paroles sublimes a été enseignée sous des
formes diverses par tous les grands Instructeurs à travers tous les pays et tous
les temps.
Le Moi de chacun et le Grand Moi universel ne sont qu'un.
Tout ce qui est étant de toute éternité dans son essence et son
principe, pourquoi distinguer entre l'être et son origine, entre nous-même et ce
que nous plaçons au commencement ?
C'est avec raison que d'anciennes traditions disaient :
"Nous et notre origine, nous et notre Dieu sommes un."
Et cette unité doit s'entendre non point comme un simple rapport
d'union plus ou moins étroite et intime, mais comme une identité véritable.
Ainsi, quand il essaie de remonter de proche en proche jusqu'à
l'inaccessible, l'homme qui cherche le divin oublie que toute sa connaissance et
toute son intuition ne sauraient lui faire faire un pas dans cet infini, et il
ne sait pas que ce qu'il veut atteindre, que ce qu'il croit si loin de lui
est en lui.
Page
– 45
Et comment pourrait-il savoir quelque chose de l'origine tant
qu'il ne prend pas conscience de cette origine en lui-même?
C'est en se comprenant lui-même, en apprenant à se connaître
qu'il peut faire la découverte suprême et, émerveillé, s'écrier comme le
patriarche dont parle la Bible : "C'est ici la maison de Dieu et moi je ne le
savais pas."
C'est pourquoi il faut exprimer la pensée sublime, créatrice des
mondes matériels, faire entendre à tous la parole qui remplit les cieux et la
terre : "Je suis en toute chose et en chaque être."
Quand tous sauront cela, le jour promis des grandes
transfigurations sera proche. Quand dans chaque atome de la matière les hommes
reconnaîtront la pensée de Dieu qui l'habite, lorsqu'en chaque créature vivante
ils apercevront l'ébauche d'un geste de Dieu, lorsqu'on chaque homme son frère
saura voir Dieu, alors l'aube naîtra, chassant les ténèbres, les mensonges, les
ignorances, les fautes et les douleurs qui accablent la nature entière. Car "la
nature entière souffre et gémit attendant que les Fils de Dieu se révèlent".
C'est bien la pensée centrale, celle qui résume toutes les
autres, celle qui devrait être toujours présente dans notre souvenir comme le
soleil qui illumine toute la vie.
C'est pourquoi je vous la rappelle aujourd'hui. Car si nous
poursuivons notre route en emportant dans notre cœur cette pensée comme le joyau
le plus rare, le trésor le plus précieux, si nous lui laissons faire son œuvre
d'illumination, de transfiguration en nous, nous saurons qu'elle est vivante au
centre de tout être et de toute chose, et en elle nous sentirons cette
merveilleuse unité de l'univers.
Alors nous comprendrons combien vaines et enfantines sont nos
pauvres satisfactions, nos sottes disputes, nos mesquines passions, nos
indignations aveugles.
Page
– 46
Nous verrons se
dissoudre nos petits travers, tomber les derniers retranchements de notre
personnalité bornée, de notre égoïsme inintelligent. Nous nous sentirons
emportés dans ce sublime courant de spiritualité vraie qui nous fera sortir de
nos cadres limités, de nos étroites frontières :
Le Moi individuel et le Moi universel ne sont qu'un; en chaque
monde, en chaque être, en chaque chose, en chaque atome est la Présence Divine,
et l'homme a pour mission de la manifester.
.Pour cela, il lui faut prendre conscience de cette présence
Divine en lui. Certains, pour y parvenir, ont besoin d'un véritable
apprentissage : leur être égoïste est trop absorbant, trop fixe, trop
conservateur, et la lutte contre lui est longue et douloureuse. D'autres, au
contraire, plus impersonnels, plus plastiques, plus spiritualisés, entrent
facilement en contact avec la source inépuisablement divine de leur être. Mais
ceux-là aussi, ne l'oublions pas, doivent quotidiennement, constamment, se
livrer à un méthodique travail d'adaptation, de transformation, afin que rien en
eux ne vienne plus obscurcir le rayonnement de cette pure lumière.
Mais comme le point de vue change dès que l'on atteint cette
conscience profonde ! Comme la compréhension s'élargit, comme la bienveillance
s'accroît!
À ce sujet un sage a dit :
"Je voudrais que chacun de nous en vînt au point d'apercevoir le
Dieu intérieur qui réside même dans le plus vil des êtres humains; au lieu de le
condamner nous dirions : "Surgis, Être resplendissant, toi qui es toujours pur,
qui ne connais ni la naissance ni la mort, surgis, Tout-Puissant et manifeste ta
nature."
Conformons-nous à cette belle parole et nous verrons tout se
transformer comme par miracle autour de nous.
Voilà l'attitude d'amour vrai, conscient, perspicace, de l'amour
qui sait voir derrière les apparences, comprendre malgré les mots,
Page
– 47
et qui, à travers tous les obstacles, communie constamment avec les
profondeurs.
Que pèsent nos impulsions et nos désirs, nos angoisses et nos
violences, nos souffrances et nos luttes, toutes ces péripéties intimes
dramatisées indûment par notre imagination déréglée, que pèsent-elles devant ce
grand, ce sublime, ce divin amour penché sur nous du plus profond de notre être,
indulgent à nos faiblesses, redressant nos erreurs, cicatrisant nos plaies,
baignant notre être tout entier de ses effluves régénérateurs?
Car la Divinité intérieure ne s'impose point, ne réclame point,
ne menace point; elle s'offre, elle se donne, elle se cache, elle s'oublie au
sein des êtres et des choses; elle ne blâme point, elle ne juge ni ne maudit ni
ne condamne, mais elle est à l'oeuvre sans cesse pour perfectionner sans
contrainte, réparer sans reproches, pour encourager sans impatience, pour
enrichir chacun de tous les trésors qu'il peut recevoir; elle est la mère dont
l'amour enfante et nourrit, garde et protège, conseille et console; elle
comprend tout, c'est pourquoi elle supporte tout, elle excuse et pardonne tout,
elle espère et prépare tout; portant tout en elle, elle n'a rien qui ne soit à
tous, et parce qu'elle règne sur tous elle est servante de tous; c'est pourquoi
ceux qui, petits ou grands, veulent être rois avec elle et dieux en elle, se
font, comme elle, non point despotes mais serviteurs parmi leurs frères.
Qu'il est beau cet humble rôle de serviteur, ce rôle de tous
ceux qui furent des manifestateurs, des annonciateurs du Dieu qui est en tous,
du Divin Amour animant toute chose...
Et en attendant de pouvoir suivre leur exemple et devenir comme
eux de vrais serviteurs, laissons-nous pénétrer par ce Divin Amour, transformer
par Lui; donnons-Lui, sans restriction, ce merveilleux instrument qu'est notre
organisme matériel.
Page
– 48
Il lui fera produire son maximum dans tous
les plans d'activité.
Pour arriver à cette totale consécration de nous-même, tous les
moyens sont bons, toutes les méthodes ont de la valeur. La seule chose tout à
fait indispensable est la persévérance dans la volonté d'atteindre ce but. Car
alors toutes les études que l'on fait, tous les actes que l'on accomplit, tous
les êtres humains que l'on rencontre, viennent nous apporter une indication, une
aide, une lumière pour nous guider sur le chemin.
Avant de terminer, pour ceux qui ont déjà fait beaucoup
d'efforts infructueux en apparence, pour ceux qui ont fait connaissance avec les
embûches sur la route et qui ont mesuré leur faiblesse, pour ceux qui risquent
de perdre confiance et courage, j'ajouterai quelques pages. Destinées à
réveiller l'espoir au cœur de ceux qui souffrent, elles ont été écrites par un
travailleur spirituel au moment où toutes les épreuves fondaient sur lui comme
des flammes purificatrices.
Vous qui êtes las, abattus, meurtris, vous qui tombez, qui vous
croyez vaincus peut-être, écoutez la voix d'un ami; il connaît vos tristesses,
il les a partagées, il a souffert, ainsi que vous, des maux de la terre; il a
comme vous traversé des déserts sous le faix du jour, il sait ce que sont la
soif et la faim, la solitude et l'abandon, le dénûment du cœur plus cruel que
les autres ; hélas S il sait aussi ce que sont les heures de doute, il connaît
les erreurs, les fautes, les défaillances, toutes les faiblesses.
Mais il vous dit : courage ! Écoutez la leçon que, chaque matin,
apporte à la terre, dans ses premiers rayons, le soleil levant. C'est une leçon
d'espérance, un message de consolation.
Vous qui pleurez, vous qui souffrez, vous qui tremblez, n'osant
prévoir le terme de vos maux, l'issue de vos douleurs, regardez : Il n'est pas
de nuit sans aurore, et l'aube se prépare quand l'ombre s'épaissit; il n'est pas
de brouillard que le soleil n'efface, pas de nue qu'il ne dore, pas de pleur
qu'il ne sèche un jour,
Page
– 49
pas d'orage après lequel ne rayonne son arc triomphal, il n'est de neige
qu'il ne fonde, ni d'hiver qu'il ne change en printemps radieux.
Et pour vous non plus, il n'est pas d'affliction qui ne produise
son poids de gloire, pas de détresse qui ne puisse être transformée en joie, de
défaite en victoire, de chute en ascension plus haute, de solitude en foyer de
vie, de désaccord en harmonie; parfois c'est le malentendu de deux esprits qui
oblige deux cœurs à s'ouvrir pour communier; il n'est pas, enfin, d'infinie
faiblesse qui ne puisse se changer en force. Et même c'est dans la faiblesse
suprême qu'il plaît à la toute-puissance de se révéler!
Écoute, mon petit enfant, qui te sens aujourd'hui si brisé, si
déchu peut-être, qui n'as plus rien, plus rien pour couvrir ta misère et nourrir
ton orgueil, jamais encore tu n'as été plus grand ! Comme il est près des cimes,
celui qui s'éveille dans les profondeurs, car plus l'abîme s'approfondit, plus
les hauteurs aussi se révèlent!
Ne sais-tu pas cela, que les forces les plus sublimes des
extensions cherchent pour se vêtir les voiles les plus opaques de la matière? Oh
les noces splendides du souverain amour et des plus obscures plasticités, du
désir de l'ombre avec la plus royale lumière!
Si l'épreuve ou la faute t'ont jeté bas, si tu as sombré dans
quelque bas-fonds de souffrance, ne t'afflige point, car c'est là que pourront
t'atteindre la divine tendresse et la suprême bénédiction! Parce que tu es passé
au creuset de douleurs purificatrices, à toi les ascensions glorieuses.
Tu es au désert : eh bien, écoute les voix du silence. Le bruit
des paroles élogieuses et des applaudissements du dehors avait réjoui ton
oreille, mais les voix du silence réjouiront ton âme en éveillant en toi l'écho
des profondeurs, le chant des harmonies divines!
Page
– 50
Tu marches en pleine nuit. Eh bien, recueille les trésors sans
prix de la nuit. Au grand soleil s'illuminent les routes de l'intelligence, mais
dans la nuit, aux clartés blanches, se trouvent les sentiers cachés de la
perfection, le secret des richesses spirituelles.
Tu suis la voie des dépouillements ; elle conduit vers la
plénitude. Quand tu n'auras plus rien, tout te sera donné. Car pour ceux qui
sont sincères et droits, c'est toujours du pire que sort le meilleur.
Chaque grain que l'on met en terre en produit mille. Chaque coup
d'aile de la douleur peut être un essor vers la gloire.
Et quand l'adversaire s'acharne sur l'homme, tout ce qu'il fait
pour l'anéantir le grandit.
Écoute l'histoire des mondes, regarde : le grand ennemi semble
triompher. Il jette dans la nuit les êtres de lumière, et la nuit se remplit
d'étoiles. Il s'acharne sur l'œuvre cosmique, il attente à l'intégrité de
l'empire sphérique, rompt son harmonie, le divise et le subdivise, disperse sa
poussière aux quatre vents de l'infini, et voici que cette poussière se change
en semence dorée, fécondant l'infini et le peuplant de mondes qui, désormais,
autour de leur centre éternel graviteront dans l'orbite élargie de l'espace; en
sorte que la division même produit une unité plus riche et plus profonde, et
multipliant les surfaces de l'univers matériel, agrandit l'empire qu'elle devait
ruiner.
Il était beau, certes, le chant de la sphère primordiale bercée
au sein de l'immensité; mais comme elle est plus belle encore et plus triomphale
la symphonie des constellations, la musique des sphères, la chorale immense,
remplissant les cieux d'un hymne éternel de victoire!
Écoute encore : nul état n'était plus précaire que celui de
l'homme quand sur la terre il fut séparé de son origine divine. Au-dessus de lui
s'étendait la frontière hostile de l'usurpateur, et aux portes de son horizon
veillaient des geôliers armés d'épées flamboyantes.
Page
– 51
Alors, comme il ne pouvait
plus monter à la source de la vie, cette source jaillit en lui; comme il ne
pouvait plus recevoir d'en haut la lumière, cette lumière resplendit au centre
même de son être; comme il ne pouvait plus communier avec le transcendant amour,
cet amour se fit holocauste et s'offrit, choisissant chaque être terrestre,
chaque moi humain pour demeure et pour sanctuaire.
Voilà comment, dans cette matière méprisée mais féconde, désolée
mais bénie, chaque atome renferme une pensée divine, chaque être porte en lui le
Divin Habitant. Et si nul, dans tout l'univers, n'est aussi infirme que l'homme,
nul non plus n'est aussi divin!
En vérité, en vérité, dans l'humiliation se trouve le berceau de
la gloire !
28 avril 1912
Page
– 52
|